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Goodman fut satisfait des résultats de Marvel Comics # 1, en tout cas suffisamment pour commander plus d’histoires à Funnies, Inc. Il était également suffisamment heureux pour décider d’engager du personnel pour sa nouvelle ligne de comics. Il choisit Joe Simon, qui était un scénariste, un dessinateur et un éditeur et sur lequel il pouvait donc compter pour effectuer diverses tâches pour Goodman. Joe Simon avait commencé en 1939 avec Funnies, Incorporated, créant pour le personnage de Fiery Mask, qui allait apparaître plus tard dans Daring Mystery Comics de Timely. Après cela, il imagina le héros Blue Bolt, qui était à l’origine publié, dans un comics éponyme, par Funnies, Inc. elle-même, avant d’être vendu à Novelty Press. Simon s’engagea alors chez Victor Fox, redessinant les planches et supervisant le personnel et les artistes de Fox. Simon finit par devenir indépendant (n’étant pas satisfait de Victor Fox) et fut alors approché puis engagé par Martin Goodman. Celui-ci voulait que Simon commence à concevoir de nouveaux comics ; de nouveau, il y avait de l’argent à faire dans ce domaine et les magazines pulps de Goodman continuaient à ne pas se vendre très bien ; Goodman souhaitait ainsi profiter du succès de Marvel Comics # 1.
Pendant ce temps, Marvel Comics devint
Marvel Mystery Comics dès le numéro 2 (les
raisons du rajout de l’adjectif « mystérieux »
demeure… eh bien, un mystère). Les idées de
Goodman sur ce qu’un comics devait inclure semblent, avec le
recul, plutôt curieuses. Marvel Mystery Comics # 2 avait
à l’affiche non seulement Human Torch et Sub-Mariner
mais également Angel (qui, en dépit de dessins
agréables de Paul Gustavson, était rarement plus qu’une
mauvaise imitation du populaire personnage des pulps, le Saint), the
Masked Raider (un succédané sans imagination du Lone
Ranger), the American Ace (l’histoire d’un pilote de
chasse au-dessus de la moyenne), et Ka-Zar the Great (dont le dessin
par Ben Thompson ne rattrapait pas la profonde médiocrité
du scénario). La relative bonne qualité de Human Torch
et Sub-Mariner nous semble aujourd’hui évidente mais,
apparemment, Goodman souhaitait couvrir autant de genres différents
que possibles ; la seule chose manquante est un magicien (dont
la présence semblait requise dans de si de nombreux comics du
Golden Age) et Timely allait bientôt en avoir deux d’entre
eux. Marvel Mystery Comics continua à se vendre bien,
avec certains des nouveaux personnages de Simon y apparaissant (the
Ferret et Electro the Marvel of the Age) et, vers la fin de l’année,
Goodman décida de lancer un second comics : Daring
Mystery Comics, dont le premier numéro porte la date de
janvier 1940 sur la couverture.
Daring Mystery Comics était un
magazine bizarre. Presque tous les comics de cette époque
disposait d’un ensemble solide de personnages, qui apparaissait
dans chaque numéro. Par exemple, Marvel Mystery Comics
avait Human Torch, Sub-Mariner, Angel et Ka-Zar dans tous ses numéros
et, bien que des personnages comme the American Ace et the Ferret
allaient et venaient, les quatre premiers étaient toujours
présents. Du côté de DC, le lecteur pouvait avoir
la certitude de trouver Batman et Slam Bradley et le Vengeur pourpre
dans Detective Comics et Superman, Zatara, Mr América
et Congo Bill dans Action Comics. Les apparitions régulières
et récurrentes des personnages étaient une base de
chaque comics. A l’exception de Daring Mystery Comics,
qui avait de nouveaux personnages dans chaque numéro. Le
numéro 1, par exemple, mettait en scène Fiery Mask,
Moako, John Steele, Doc Doyle, Flash Foster et Bareny Mullen. Le
numéro 2 présentait the Phantom Bullet, the Laughing
Mask, Mr E, Trojak the Tiger Man, Zephyr Jones et K-4 and his Sky
Devils. Le numéro 3 racontait les aventures du Phantom
Reporter, Dale du FBI, Breeze Barton, Captain Strong, Marvex le
Super-Robot et the Purple Mask. Et ainsi de suite. Certains
personnages apparurent dans plus d’un numéro mais la
plupart d’entre eux n’eurent qu’une histoire et ne
firent plus aucune apparition.
Il est probable que Goodman recherchait un nouveau succès, dans le genre de Human Torch et Sub-Mariner, et fit ainsi créer par Funnies, Inc. autant de héros et d’histoires différents que possible ; Goodman surveillait probablement les ventes et les courriers afin que, si un personnage semblait particulièrement populaire, il put exploiter le-dit personnage. Egalement, de nombreux de ces personnages étaient probablement des créations de Simon – d’autres de ces nouveaux héros que Goodman lui demandait de créer. Cette tactique – offrir autant de nouveaux personnages que possible aux lecteurs en l’espace de peu de temps, voir lesquels étaient bien reçus et ressortir ce personnage – ne fut pas un succès, et Daring Mystery Comics ne se vendit jamais bien (il est difficile de se créer une base de lecteurs solide quand vous mettez rarement plus d’une fois en scène un personnage) et fut arrêté (enfin presque – cf. infra) après le numéro 8. A cette époque, néanmoins, Goodman et Simon ne pouvaient savoir cela. Pas plus que cela ne les aurait découragés dans leur tactique ; une bonne réussite compensant des myriades d’échecs. Ce qui est la raison pour laquelle ils lancèrent un troisième magazine : Mystic Comics.
Mystic souffrait des mêmes défauts
que Daring Mystery ; chacun des cinq premiers numéros
livra un nouveau groupe de super-héros, dont peu d’entre
eux bénéficiaient d’un travail de qualité
ou apparurent plus deux fois. Certains des personnages de Mystic,
comme the Black Widow et Merzah the Mystic furent cependant exécutés
avec un étonnant degré de talent et d’art mais la
plupart était comme le globalement médiocre
« Hercule ». Les bonnes histoires furent
arrêtées en même temps que les mauvaises, d’une
telle manière que le Dakor conçu de manière
incompétente (le premier magicien de Marvel et une sorte
d’évident succédané de Mandrake le
Magicien) disparu après le numéro 3, alors que Merzah
the Mystic (une série d’une bien meilleure qualité)
partit avec une seule apparition. De plus, la rotation des équipes
créatives impliquait que même les histoires les mieux
réussies ne seraient pas un succès, car les lecteurs ne
pouvaient pas compter sur la même équipe pour rester sur
le personnage pendant plus d’une histoire. Un personnage comme
Black Widow, dont deux des trois apparition dans Mystic sont
aussi bonnes que tout ce qui fut fait durant le Golden Age par une
personne autre que Eisner, Kirby ou Cole, fut démolie avec
Mike Sekowsky (dont le travail était techniquement solide mais
dont le style était totalement inadapté pour la Veuve
noire). La dernière apparition de Blue Blaze, dans Mystic #
4, fut exécutée avec un style qui allait plus tard
rendre célèbre (et populaire) H.G. Peters sur Wonder
Woman mais parce que Blue Blaze ne fit plus aucune apparition
ultérieure, ce style n’eut pas le temps d’attirer
l’attention du lectorat.
Ainsi, à la fin du printemps ou au début de l’été 1940, Marvel Mystery
Comics était le seul véritable succès de
Timely et Goodman décida alors de lancer un nouveau magazine.
Ce qui conduisit au tristement célèbre Red Raven
Comics # 1, daté sur la couverture d’août 1940
mais produit, très probablement, courant mai ou juin de la
même année.
Avec le recul, Red Raven Comics n’est pas aussi mauvais. Il disposait de Joe Simon et Jack Kirby pour le concevoir ; même si leur travail sur « Red Raven », « Comet Pierce » et « Mercury » est loin d’être leur meilleur – c’était le début de leur carrière pour tous les deux et aucun d’entre eux n’avait encore atteint sa maturité – il montre néanmoins une certaine vitalité. Le travail de Louis Cazeneuve et Dick Briefer n’est, également, pas si mauvais que cela. Et les histoires et les personnages – immortalisés plus tard comme Red Raven, Mercury et Comet Pierce et les plus obscurs comme Human Top, Eternal Brain et Magar the Mystic – ne sont pas plus pitoyables que le personnage typique du Golden Age (Kirby allait plus tard recycler l’idée de Mercury pour la série « Hurricane » dans Captain America Comics). Néanmoins, le comics fut arrêté par Goodman presque immédiatement après son premier numéro et il fut considéré comme un échec – et un échec sévère, qui plus est. Les raisons de l’arrêt aussi rapide du comics décidé par Goodman restent peu claires, mais avoir un comics arrêté aussi rapidement après le premier numéro – avant que les résultats des ventes ne soient même connus – semble indiquer que Goodman agissait pour des raisons autres que financières. Peut-être avait-il un sentiment d’une telle force que le comics serait un ratage qu’il décida de réduire ses pertes avant que cela n’empire ?
Timely aurait pu avoir des difficultés à cause de cela, sans une idée qu’eurent Bill Everett et Carl Burgos. Pourquoi ne pas se faire rencontrer leurs deux personnages, Human Torch et Sub-Mariner ? Ils incarnaient l’eau et le feu, deux éléments opposés, alors pourquoi ne pas organiser une rencontre et les amener à se combattre l’un l’autre ?
C’était une première,
quelque chose qui n’avait jamais été fait jusque
là dans les comics de super-héros. Il y avait un
certain nombre de comics de super-héros à cette époque
et même dès celle-ci, les compagnies étaient
connues pour leurs familles de comics mais l’idée que
des personnages différents, dans des séries et revues
différentes, habitent le même univers, était une
nouvelle idée. Il est difficile pour un lecteur de comics
moderne de comprendre à quel point cette idée était
différente ; nous avons tous grandi avec l’idée
d’univers partagés et cela semble donc un présupposé
naturel pour nous. Mais, durant l’été 1940,
c’était un concept nouvel et très différent.
Everett et Burgos imaginèrent l’histoire puis la
donnèrent à deux auteurs, John Compton et Hank Chapman,
pour la parachever. Savoir si Burgos et Everett furent les seuls à
créer cette histoire demeure, comme bien d’autres
questions sur cette époque de l’histoire des comics, une
question contestée. Martin Goodman semble avoir eu un rôle
dans la conception du premier « crossover » ;
il semble avoir influencé le contenu de l’histoire mais
ne semble pas avoir été derrière cette idée.
Et Joe Simon a peut-être ou peut-être pas eu un mot à
dire dans l’idée du combat lui-même. L’équipe
créative s’assura avec astuce que chaque personnage
serait dessiné correctement, quelle que soit l’histoire,
avec Everett dessinant Sub-Mariner dans l’histoire de Torch et
Burgos dessinant Torch dans les histoires de Sub-Mariner. Avec
toujours les ventes en tête, l’équipe créative
réalisa l’histoire sur trois numéros, Marvel
Mystery Comics # 8-10, avec les deux premiers numéros
s’achevant sur un cliffhanger. Bien sûr, l’histoire
s’acheva sur un match nul ; ni Everett, ni Burgos ne
voulait vraisemblablement que leur personnage fétiche perde et
ils ne voulaient pas non plus décevoir les fans de ces
personnages. Ils n’avaient pas besoin de s’inquiéter ;
les fans étaient si fascinés par l’idée du
crossover et le fait que leurs personnages favoris avaient une bonne
vieille bagarre entre eux que les ventes de Marvel Mystery Comics
augmentèrent sensiblement.</p>
Cet été 1940 fut un été
studieux pour Timely. Joe Simon, à ce moment-là,
éditait toutes les revues de Goodman et, avec Goodman, avait
développé une équipe talentueuse pour Timely
(plutôt qu’à Funnies, Incorporated). Goodman, vers
la fin de l’été, décida d’arrêter
sa collaboration avec Funnies, Incorporated ; le taux auquel il
payait son équipe à Timely était inférieur
à ce que facturait Funnies, Inc. (bien que ce que les artistes
et scénaristes obtenaient de Goodman était plus élevé
que ce qu’ils obtenaient de Funnies, Inc. car celle-ci
récupérait un pourcentage sur ce que Goodman versait).
Goodman fit renvoyer continuellement par Simon les dessins pour des
corrections à Funnies, Inc. et, finalement, Lloyd Jacquet
abandonna et vendit les droits des personnages à Goodman.
A l’automne 1940, Goodman était prêt à se
développer et lancer plusieurs nouvelles revues. Human
Torch Comics fut l’une d’elles ; la popularité
de Human Torch fut récompensée par la création
de sa propre revue, qui commença avec Human Torch Comics #
2 (il n’y a jamais eu de # 1 ; le comics continua à
partir de Red Raven Comics # 1). Human Torch Comics fut un événement
important pour Timely car c’était le premier comics de
la société qui recevait son nom d’un personnage
identifiable et populaire. Marvel Mystery Comics était
porté par Human Torch et Sub-Mariner, qui étaient la
principale raison des bonnes ventes du comics, mais aussi bien que
Mystic et Daring Mystery était en manque d’un
personnage fort récurrent et connaissaient du coup de faibles
ventes. Human Torch Comics, au contraire, n’avait pas ce
défaut. Les autres personnages du magazine n’étaient
pas particulièrement bons ; bien qu’il eut le
Sub-Mariner d’Everett, il mettait aussi en scène des
héros tels que the Falcon, the Fiery Mask et Mantor the
Magician. Mais avec Human Torch de Burgos et Sub-Mariner d’Everett,
le comics continuait à se vendre bien, quelle que soit la
faible qualité des autres histoires. De plus, le premier
numéro de Human Torch Comics introduisit Toro, le
coéquipier adolescent de Human Torch. Toro allait se révéler
également populaire, apparaissant dans de nombreux comics et
finirait à terme par aider à diriger sa propre équipe. Novembre 1940 vit un événement qui,
sans être une innovation, était une première pour
Timely et allait finalement se répandre non seulement chez
Timely mais dans les comics en général. Dans Marvel
Mystery Comics # 15 (daté sur la couverture de janvier
1941), Jack Kirby dessina la Vision en train de franchir les limites
de la case. Kirby eut cette idée de Lou Fine mais ce fut
l’emploi de Kirby de cette technique artistique qui la rendit
populaire, avant de devenir l’une des marques de fabrique de
Kirby. En décembre 1940, Timely Publications (ainsi que le
groupe de Goodman était désormais connu ; avant
cela, il était le « Cercle Rouge » à
cause du logo placé par Goodman sur ses magazines pulps)
n’était que relativement une réussite. Quality
Comics, DC Comics et Fawcett Publishing étaient les trois
compagnies qui vendaient le plus ; comparées à
elles, les ventes de Timely étaient médiocres. Marvel
Mystery Comics était leur seul véritable
best-seller. Cependant, Timely vendait suffisamment pour continuer à
publier et investir de l’argent dans un nouveau magazine s’ils
le souhaitaient. Et c’est ce que fit Goodman. Il voulait plus
de héros ; il y avait beaucoup d’argent à
gagner dans les comics de super-héros et Goodman voulait
accroître sa part de marché. Du coup, Goodman demanda à
Joe Simon de créer de nouveaux héros. Simon travaillait alors avec un partenaire :
Jacob Kurtzberg, également connu sous les noms de Jack
Curtiss, Curt Davis, Lance Kirby et… Jack Kirby. Ils se
rencontrèrent alors qu’ils travaillaient à Fox et
Simon remarqua presque immédiatement Kirby, voyant chez lui un
talent et une rapidité appréciables et quand Simon
quitta Fox pour devenir indépendant, et réaliser Blue
Bolt Novelty Press, il demanda à Kirby de venir avec lui.
Kirby accepta et les deux étaient encore partenaires quand
Goodman demanda à Simon d’inventer de nouveaux héros.
Simon et Kirby avaient travaillé pour Goodman et Timely
auparavant, réalisant Red Raven # 1, et Goodman avait
ainsi des raisons de leur faire confiance à tous les deux
(cela rend encore plus étrange la décision de Goodman
d’arrêter Red Raven Comics aussi rapidement ;
il faisait clairement confiance aux équipés créatives
impliquées et cela ne peut donc pas être cette raison.
Mais, alors, laquelle ? ). Le personnage que Simon et Kirby
allait inventer participa au changement de l’histoire des
comics de super-héros. La guerre était dans l’air vers la
fin de 1940 ; il était difficile de l’éviter,
que ce soit dans les nouvelles ou dans les conversations de tous les
jours. Les nazis avaient submergé l’Europe et étaient
en train de bombarder l’Angleterre ; en novembre, Coventry
avait presque été rasée par les attaquées
aériennes allemandes, une stratégie qui avait choqué
le monde (à l’époque, l’idée de
prendre pour cibles des civils par les forces aériennes était
encore quelque chose de choquant en 1940). L’équipe de
Timely, principalement d’origine juive (Goodman, Simon et Kirby
parmi eux) était, bien sûr, très consciente de ce
que Hitler et les Allemands faisaient, de ce qu’ils comptaient
faire et ce qu’ils étaient réellement. L’ambiance
de l’époque était extrêmement politisée
et orientée par la guerre, d’une manière que les
Américains des années 1990 peuvent avoir du mal à
imaginer ; les Américains étaient soit
interventionnistes (pour les Britanniques) ou isolationnistes mais
presque personne restait neutre sur ce débat. Cela se
reflétait dans les comics de l’époque. Chez DC,
les comics de National étaient, en général,
interventionnistes alors que les magazines de All-American étaient
plutôt isolationnistes. Timely, de son côté, était
clairement anti-Hitler. En fait, dès décembre 1939,
Sub-Mariner (dans Marvel Mystery Comics # 4, daté sur
la couverture de février 1940) s’était emparé
d’un sous-marin nazi. En juin 1940, Simon et Kirby, dans Daring
Mystery Comics # 6 (daté sur la couverture de septembre
1940) envoyait leur héros Marvel Boy combattre les nazis (bien
que Martin Goodman, redoutant les actions en justice, changea le nom
du dictateur de l’histoire en « Hiller »,
les termes « blitzkrieg », « cinquième
colonne » et « Heil Hiller » sont
tous utilisés, ne laissant aucun doute au lecteur sur qui est
la véritable cible de Marvel Boy et qui est le chef des
espions apparaissant dans l’histoire). Et, en janvier 1941,
Human Torch et Sub-Mariner s’associent – leur première
association amicale – pour combattre les nazis dans Marvel
Mystery Comics # 17 (avec une couverture datée de mars
1941). Ainsi, Simon et Kirby, influencé par les
événements en cours, créèrent un nouveau
personnage, un héros qui allait incarner le patriotisme que
l’équipe de Timely éprouvait. Et ils imaginèrent
Captain América (lequel des deux créa le personnage
semble contesté ; Joe Simon prétend qu’il
eut l’idée d’un héros patriotique et
exécuta la première esquisse ; Jack Kirby prétend
qu’il a co-créé le personnage, avec Simon). Il
convient de préciser que Captain América fut en fait
créé l’automne précédent mais Simon
et Kirby, examinant des offres faites par les rivaux de Timely,
amenèrent Goodman prendre un verre et réussirent à
obtenir un accord de sa part. Simon obtiendrait 15% des profits
suites aux ventes de Captain America Comics, et Kirby en
aurait 10%. Un tel accord, est-il besoin de le préciser, était
totalement inconnu dans l’industrie du comics à
l’époque.
Goodman fut séduit par l’idée d’un héros patriotique et fit créer par Simon et
Kirby suffisamment d’histoires pour Captain afin qu’il
ait son propre magazine – un geste inhabituel étant
donné que presque tous les nouveaux personnages débutaient
dans des revues anthologiques (comme Daring Mystery Comics ou
Mystic) avant d’obtenir leur propre titre. Captain
America Comics # 1, avec une couverture datée de mars
1941, fut mis en vente le 20 décembre 1940 et fut
immédiatement un best-seller – vendant près d’un
million d’exemplaires, à une époque où le
magazine Time vendait environ 700 000 exemplaires par semaine. Captain América n’était pas le
premier super-héros patriotique dans le domaine des comics.
C’était The Shield d’Irv Novick, qui était
apparut dans Pep Comics de MLJ, débutant en novembre ou
décembre 1939 (Pep Comics # 1 avait une couverture
datée de janvier 1940). The Shield avait été
suivi en février 1940 par the Eagle de Louis Cazeneuve, dans Science Comics # 1 de Fox (un magazine qui mettait également
en scène un personnage appelé « Dr. Doom »).
Au cours du mois qui précéda les débuts de
Captain América, Fawcett commença à publier
Minute Man de Charlie Sultan dans Master Comics # 11
(couverture datée de février 1941). Et, en décembre
1940, au moment où Captain América faisait sa première
apparition, Quality commençait la publication de USA de
Maurice Gutwirth, la première super-patriote féminine
des comics, dans Feature Comics # 42 (couverture datée
de mars 1941). Mais ces autres personnages, et les nombreux
imitateurs qui suivirent, ne bénéficiaient pas du
travail de Simon et Kirby (bien que The Shield se vendait bien pour
MLJ). Le style de Kirby – énergique, exagéré
d’une manière séduisante, puissant et faisant
preuve de solides talents de narrateurs – explosait de la page,
faisant de Captain América une lecture prenante. Et l’ambiance
du début de 1941, avec les Américains, horrifiés
de ce que les Allemands faisaient en Europe et partagés entre
interventionnisme et isolationnisme, aidèrent Captain
America Comics d’une manière dont The Shield n’avait
jamais bénéficié. Captain América,
apparaissant au bon moment, donna aux Américains une chance de
s’identifier et s’évader avec un personnage
imaginaire qui pouvait chasser les Allemands et d’une manière
simple, physiquement gratifiante – quelque chose qui n’était
simplement pas possible dans la vie réelle. Naturellement, MLJ, voyant des similarités
entre The Shield et Captain América, furent en colère
et menacèrent Timely d’un procès, un point
essentiel de leur plainte étant que le bouclier triangulaire
de Captain América le faisait ressembler à The Shield,
qui avait un bouclier triangulaire sur le devant de son uniforme.
Goodman décida de ne pas discuter sur ce point ; il était
vraisemblablement au fait du procès de DC de 1939 contre Fox
Comics. DC avait poursuivi Fox à cause du personnage Wonderman
de Fox, prétendant que Wonderman était directement
inspiré de Superman. Tel était le cas et Fox perdit le
procès. Ce précédent devait être connu de
Goodman qui, après avoir rencontré John Goldwater,
l’éditeur des comics de MLJ, accepta de changer le
bouclier, une chose dont Kirby, finalement, fut ravi (il préféra
toujours le bouclier rond, plus efficace et doté d’un
meilleur visuel). A la fin de la rencontre, Goldwater tenta d’engager
Simon et Kirby pour les éloigner de Timely – un acte
qui, évidemment, ne fut pas bien du tout reçu par
Martin Goodman.